samedi 30 août 2008

PERSPECTIVES INTERCULTURELLES DANS LA FORMATION DES ENSEIGNANTS DU FLE

et pour une meilleure stratégie d’apprentissage des élèves-étudiants
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PHAM THI Anh Nga
(ENS de Hue – Vietnam)
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Résumé:
Objectif principal: Réflexions en vue de mieux préparer les enseignants et les apprenants du FLE dans leur stratégie d’enseignement / apprentissage, et dans leur attitude face à la langue étrangère et surtout face à la culture étrangère.
Problématique:
- Constat de perceptions lacunaires chez nombre d’enseignants et d’apprenants (élèves ou étudiants) sur le rôle de l’autre culture et celui de leur propre culture dans l’enseignement / apprentissage du FLE
- Questionnement et hésitations chez des enseignants et des apprenants du FLE sur l’attitude à prendre face à l’autre culture
- Préoccupation commune: cf Recherches en formation doctorale et en formation post-universitaires menées par des collègues (du département de français, ENS de Hue, entre autres) et portant sur la culture et le contact interculturel (dans diverses situations de rencontre mais surtout en situation de classe)
- Actuellement, environnement linguistique et culturel francophone en dehors des classes, mettant les enseignants et les apprenants du FLE en vraie situation de rencontre avec l’autre culture.
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Cette communication vise à présenter dans les grandes lignes des perspectives interculturelles en FLE (français langue étrangère), envisagées dans ce cadre au profit de la formation des enseignants et de la stratégie d’apprentissage des apprenants, élèves ou étudiants. Comme base de réflexions, je m’appuie, d’une part, sur des recherches personnelles sur l’interculturel et sur l’attitude face à l’Autre et à l’autre culture, et de l’autre, sur des réflexions que j’ai nourries en tant qu’enseignante et formatrice en FLE, et en tant que parent d’élèves de FLE. Le tout consolidé par un travail de documentation et des références d’auteurs en la matière.

La communication s’articule en trois parties: le pourquoi de cette communication, le quoi et le comment de l’interculturel en FLE.

1. LE “POURQUOI” DE CETTE COMMUNICATION SUR L’INTERCULTUREL EN FLE

Pour ce qui est du pourquoi de ces réflexions sur l’interculturel en FLE, je pars en premier lieu d’un constat de perceptions lacunaires chez nombre d’enseignants et d’apprenants (élèves ou étudiants) sur le rôle de l’autre culture et celui de leur propre culture, dans l’enseignement / apprentissage du FLE.

En effet, de nos jours, si un petit nombre d’enseignants et d’apprenants de FLE se contentent encore de travailler (sur) la langue française tout en ignorant la culture liée à cette langue, la plupart des enseignants et des apprenants sont conscients de la place qu’occupe la culture étrangère dans l’enseignement / apprentissage de la langue étrangère. Mais peu d’entre eux trouvent explicite le rôle qu’y joue cette culture étrangère, et encore moins celui qu’occupe sa propre culture. D’autre part, les hésitations sont fréquentes chez des enseignants et des apprenants du FLE qui se questionnent sur l’attitude à prendre face à l’autre culture Cette réalité s’affirme de plus en plus, et la préoccupation est devenue commune à un certain nombre d’enseignants et / ou chercheurs dans notre environnement. D’où la présence des recherches en formation doctorale ou en formation post-universitaire menées par certains de mes collègues (des départements de français, ENS de Hue ou Université de Hue, par exemple) et qui portent sur la culture et le contact interculturel, dans diverses situations de rencontre mais surtout en situation de classe. Les réflexions ici présentées tendent à apporter un plus à ces tentatives de recherche.

Par ailleurs, dans les conditions actuelles de l’enseignement / apprentissage du FLE, enseignants et apprenants bénéficient de plus en plus d’un environnement linguistique et culturel francophone en dehors des classes, ce qui les met dans de vraies situations de rencontre avec l’autre culture. D’où un besoin impératif de préparation et d’éducation à l’interculturel.

2. LE “QUOI” DE L’INTERCULTUREL EN FLE

En quoi consiste alors l’interculturel en FLE?

Tout d’abord, que signifie “interculturel”? Rappelons, avec le Conseil de l’Europe, que “L’emploi du mot “interculturel” implique nécessairement, si on attribue au préfixe “inter” sa pleine signification, interaction, échange, élimination des barrières, réciprocité et véritable solidarité. Si au terme “culture” on reconnaît toute sa valeur, cela implique reconnaissance des valeurs, des modes de vie et des représentations symboliques auxquels les êtres humains, tant les individus que les sociétés, se réfèrent dans les relations avec les autres et dans la conception du monde” (L’Interculturalisme: de l’idée à la pratique didactique et de la pratique à la théorie, Strasbourg, 1986).

C’est en 1975 que l’interculturel en éducation fait l’objet et prend toute sa vigueur en France, suite à la scolarisation des enfants immigrés. La problématique interculturelle s’élargit ensuite à d’autres domaines (management, entreprise, communication) et est liée à l’idée d’ouverture. En 1986, grâce à Louis Porcher, l’interculturel fait son entrée dans le domaine du FLE.

Selon M.Abdallah-Pretceille, “l’interculturel est une option pédagogique non encore stabilisée, donc davantage source d’interrogations et d’incertitudes que de réponses et d’affirmations” (Vers une pédagogie interculturelle, 1996). Essayons de toutes façons d’en trouver des éléments de définition.

L’interculturel en FLE peut a priori se définir à travers ces aspects:

- Le passage du monolinguisme au plurilinguisme en langues étrangères, ou de la maîtrise d’une langue étrangère à la maîtrised’autres langues étrangères, l’apprentissage de la (ou des) langue(s) étrangère(s) étant considéré comme un atout dans le cadre scolaire;

- L’élargissement des compétences linguistiques aux compétences culturelles, voire des compétences interculturelles. Apprendre une langue, c’est aussi apprendre une culture, apprendre à percevoir l’environnement physique et humain à travers une grille de perception différente. Il ne s’agit pas d’apprendre la France ou les Français comme des entités collectives abstraites, mais de reconnaître des individus dont une des caractéristiques est d’être français.

Une prise en compte mécanique du culturel dans le domaine du FLE risque d’aboutir à une vision statique, kaléidoscopique du pays étranger, et cette définition de l’interculturel peut ainsi s’élargir à des aspects suivants, dans la perception de la culture étrangère:

2.1. De l’approche comparatiste (culturaliste) à l’approche interculturelle

Le modèle culturaliste consiste à enfermer l’individu ou le groupe dans des causalités et des déterminismes culturels; on reste ainsi au stade descriptif, explicatif, voire prescriptif (en prédéterminant une place ou un comportement). En revanche, l’approche interculturelle se doit d’être une démarche réflexive et compréhensive: l’objectif y est de percevoir à travers des hommes, des mœurs, des comportements, des habitudes... l’expression d’une culture. Cette démarche est en même temps active et subjective, et implique le “je” dans une élaboration, une construction personnelle. Elle s’oppose à un enseignement de type magistral et disciplinaire de la “civilisation”. Il ne s’agit plus de fournir des connaissances, des savoirs stables sur la culture étrangère, mais d’apprendre une meilleure compréhension de cultures qui, loin d’être des cultures vraies, authentiques, originelles et pures, constituent des entités dynamiques, mouvantes, instables, en perpétuelle mutation et en interaction les unes avec les autres.

L’approche interculturelle envisage aussi un apprentissage à la perception de la culture de l’apprenant. Selon cette optique, dans le domaine du FLE, la compréhension de l’apprenant quant à la culture-cible ou culture étrangère (non seulement la culture française mais aussi la culture francophone) favorise une meilleure compréhension de sa propre culture, et inversement.

2.2. Du modèle mosaïque à la relation en miroir

Longtemps la présentation des cultures s’est inscrite dans un modèle mosaïque, où chaque culture est une entité stable, indépendante, sans interaction avec d’autres cultures. On reconnaît de nos jours qu’aucune culture n’est indépendante des contacts, interactions avec d’autres cultures, et que cela la marque, la structure, la définit, par l’intermédiaire des jeux de représentations réciproques. Cette relation en miroir constitue en quelque sorte une imagologie, où s’inscrivent des regards croisés, des auto- et hétéro-images.

Dans l’esprit de l’interculturel en FLE, l’approche et la compréhension des cultures (étrangère et / ou maternelle) doivent s’attacher à cette relation en miroir entre cultures, ou entre individus de cultures différentes. La littérature, le cinéma, les récits de voyage... peuvent constituer des corpus d’analyse fructueuse pour cette double optique, subjective et relationnelle.

2.3. Acculturation et problèmes identitaires

La perception de la culture étrangère en FLE (la culture française dans la plupart des cas) peut mettre l’apprenant et même l’enseignant dans une situation de déstabilisation identitaire. La culture française est très souvent perçue dans une “hiérarchie” entre les cultures (domination et inégalité entre les cultures) en position haute par rapport à la culture des apprenants vietnamiens. La tendance est large, dans notre environnement, à considérer la France comme un pays de rêve, bien supérieur à son pays natal. D’où le désir de “s’élever”, de “devenir” autre.

Il est vrai que les cultures sont en continuelle interaction et interpénétration entre elles, et que chaque individu est unanimement reconnu comme un “métis culturel”. Apprendre une langue étrangère, ce n’est pas seulement acquérir un moyen linguistique autre que sa langue maternelle, c’est aussi apprendre à comprendre l’Autre, le comportement de l’Autre, et à pouvoir se comporter différemment. Mais jusqu’où cette acculturation serait-elle plausible?

Je tiens à signaler ici le danger d’un nouveau malinchismo (terme utilisé par les Mexicains, à partir du nom de la belle Indienne La Malinche de l’époque de la “découverte de l’Amérique”, pour désigner l’adulation aveugle des valeurs occidentales, et qui signifie aussi un sentiment d’infériorité face à une autre culture). Jadis comme de nos jours, le malinchismo culturel pourrait donner lieu non à l’acculturation, mais à une déculturation, voire une a-culturation.

2.4. Réhabilitation des stéréotypes

La stéréotypie est souvent considérée comme l’un des écueils les plus dangereux dans la rencontre et la perception de l’Autre. Sans nier le danger que présente le recours aux stéréotypes dans la rencontre et l’approche interculturelles, il nous serait peut-être plus raisonnable de “réhabiliter” les stéréotypes, comme l’affirme R.Amossy: “Le stéréotype schématise et catégorise; mais ces démarches sont indispensables à la cognition, même si elles entraînent une simplification et une généralisation parfois excessives. Nous avons besoin de rapporter ce que nous voyons à des modèles préexistants pour pouvoir comprendre le monde, faire des prévisions et régler nos conduites.” (Stéréotypes et clichés. Langue, discours, société, 1997).

Dans le cadre du FLE, il convient de travailler et de faire travailler sur des stéréotypes en vue de (faire) percevoir et de (faire) comprendre l’autre culture, conformément à l’esprit de la relation en miroir, et d’une démarche réflexive et subjective.

3. LE “COMMENT” DE L’INTERCULTUREL EN FLE

Les réflexions quant à ces quelques aspects de l’interculturel en FLE peuvent nous amener à envisager des pistes d’action dans nos pratiques d’enseignement et / ou de recherche.

Je tiens à formuler les quelques propositions suivantes, en vue d’améliorer la formation des enseignants de FLE et des stratégies d’apprentissage des élèves et étudiants.

Pour les enseignants, je souhaite que leur implication dans l’interculturel s’effectue en articulant ces différents volets de recherche-action:

- lecture et réflexions, à deux niveaux (à voir, en fin de cette communication, les listes d’ouvrages recommandés pour la lecture, pour les deux niveaux);
- application pour la classe: un véritable apprentissage à la perception et la compréhension de l’autre culture et de sa propre culture, à travers des tâches de découverte réflexive et subjective;
- mise en pratique d’activités plus ou moins ludiques pour les étudiants ou élèves (en communication simulée ou en méta-communication), travail sur les stéréotypes, les représentations, le regard...;
- travail de recherche sur les pratiques d’enseignement et l’interculturel.

Quant aux formateurs, je propose une insertion du contenu interculturel à deux niveaux : pour la formation initiale des enseignants aussi bien que pour la formation continue, considérée comme une remise à niveau ou mise à jour des compétences et performances d’enseignant de FLE.

En guise de conclusion, je me contente de citer des deux plus grands noms de l’interculturel, Louis Porcher et Martine Abdallah-Pretceille, ces lignes pour lesquelles j’aimerais partager avec vous tous le plaisir de la lecture et de la réflexion:

“Il ne faut certes pas cesser de parler (c’est le rôle des intellectuels) parce qu’une parole est toujours aussi une intervention mais il importe dorénavant d’agir, de faire, de bousculer” (L.Porcher, Le même et l’autre, Préface à la 3e édition de “Vers une pédagogie interculturelle” de M.Abdallah-Pretceille, 1996);

“les rencontres internationales peuvent être un lieu privilégié d’échanges d’informations mais aussi d’apprentissages à la rencontre interculturelle et de l’altérité” (M.Abdallah-Pretceille, Relations et apprentissages interculturels, 1995)
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REFERENCES DOCUMENTAIRES POUR LECTURES:

- niveau 1 (initiation):
+ ABDALLAH-PRETCEILLE M., 1999, L’éducation interculturelle, Collection Que Sais-Je, PUF Paris, 126 p.
+ CARLO M. de, 1998, L’interculturel, NXB Clé International, 125 p.

- niveau 2 (approfondissement):
+ ABDALLAH-PRETCEILLE M., 1996 (1986), Vers une pédagogie interculturelle, Anthropos, Paris, 222 p.
+ ABDALLAH-PRETCEILLE M., PORCHER L., 1996, Education et communication interculturelle, PUF l’Educateur, Paris, 192 p.
+ HALL E-T., 1971, La dimension cachée, Points, Seuil, Paris, 254 p.
+ HALL E-T., 1984, Le langage silencieux, Points, Seuil, Paris, 237 p.
+ HALL E-T., 1984, La danse de la vie, Points, Seuil, Paris, 282 p.
+ TODOROV Tzvetan, 1982, La conquête de l’Amérique, Seuil, 339 p.
+ TODOROV Tzvetan, 1986, “Le croisement des cultures”, Le croisement des cultures, COMMUNICATIONS No 43, pp 5-24.
+ TODOROV Tzvetan, 1989, Nous et les autres, Seuil, 452 p.
+ ZARATE G., 1983, D’une culture à l’autre, LE FRANÇAIS DANS LE MONDE No 181, Nov-Déc / 1983, Hachette / Larousse.
+ ZARATE G., 1993, Représentations de l’étranger et didactique des langues, Didier, 128 p.
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Séminaire régional de recherche en didactique du FLE (du 2 au 5 décembre 2002 à Phnom Penh – Cambodge)
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