Le présent texte figure dans la rubrique «Fenêtre», rubrique consacrée à ceux et à celles qui souhaiteraient y laisser quelques-unes de leurs traces...
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Alexandre Dumas
Les admirateurs d’Alexandre
Dumas dans tous les coins du monde se sont sentis infiniment soulagés en
apprenant l’entrée de ses cendres au Panthéon. On peut espérer que cette reconnaissance
officielle fondée sur l’aspiration des publics de tous les âges, sur l’opinion
des critiques littéraires avisés et sur l’épreuve du temps va mettre un terme à
plus d’un siècle de controverse sur cet auteur extraordinaire.
Nous sommes une génération
qui a vécu une époque intellectuelle où, pour l’auteur de Les Trois Mousquetaires, les coups de dédain l’emportaient de loin
sur les coups de chapeau. En effet, pour être quelqu’un de raffiné, il fallait
lire Proust, Dostoïevsky ou Kafka par exemple avec leurs romans
“psychologisants” inspirés d’une âme intérieure. Alors que lire Alexandre Dumas
était scandaleux, car une attitude qui persistait chez les universitaires non
seulement français mais aussi étrangers ne voulait voir dans les œuvres
d’Alexandre Dumas rien qu’un divertissement pur et simple. À ce temps-là la
conception littéraire dominante entendait par lecture un jeu de réflexion, une
aventure vers l’intérieur de l’âme humaine. Or, lire Alexandre Dumas, ce ne
serait pas pour réfléchir, mais pour voir des choses qui se déroulent
rapidement devant nos yeux, comme si on assistait à un spectacle. C’était pour
cette raison que Flaubert disait d’Alexandre Dumas qu’il divertissait comme une
lanterne magique. Et les frères Goncourt, plus caustiques encore, parlaient à
ce propos d’un certain montreur de prodiges.
Je me rappelle qu’il y a déjà
plus de trente ans, j’ai participé à Hanoi à un séminaire de littérature française,
animé par Françoise Corèze, une Française très proche des milieux littéraires
et politiques du Vietnam du Nord et collaboratrice de plusieurs maisons
d’édition dans la capitale. Un jour, elle m’a demandé quels auteurs français du
dix-neuvième siècle étaient les plus appréciés au Vietnam, j’ai cité Alexandre
Dumas entre autres et elle a été franchement scandalisée. Elle disait que cet
auteur amusait tout le monde sans que ses œuvres soient considérées comme
faisant partie de la littérature sérieuse.
Cependant, cette attitude
dédaigneuse chez les universitaires n’a pas découragé pour autant les gens,
surtout les jeunes, qui lisent de tous temps
Alexandre Dumas toujours avec passion. Nous autres Vietnamiens, nous
adorons Alexandre Dumas à plus d’un titre: nous retrouvons dans son style
quelque chose qui est très proche de celui des grandes œuvres littéraires
chinoises qui alimentent notre esprit dès notre enfance. Je dirais que si
Alexandre Dumas avait pu lire les légendes chinoises ou extrême-orientales, il
aurait créé des romans-fleuves du genre “Au
bord de l’eau” ou “Les rêveries dans
le pavillon rose”.
Depuis longtemps et
particulièrement depuis cette dernière
décennie, plusieurs experts, critiques littéraires, écrivains et
enseignants se sont livrés à la
recherche du vrai charme de la littérature dumasienne et ses qualités intrinsèques.
Autrement dit, plusieurs ont essayé de répondre à la question suivante: “Où se
cachent exactement les attraits des œuvres d’Alexandre Dumas?”
À l’heure actuelle, l’opinion
des spécialistes est presque unanime pour dire que le charme dumasien réside
dans ce qu’on pourrait appeler une littérature-spectacle ou dans une
littérature qui ne donne pas à réfléchir, mais simplement à voir. Comme le
montre Didier Decoin, romancier et Président de la Société des amis d’Alexandre
Dumas, l’auteur de Les Trois
Mousquetaires appartient davantage à la caste des écrivains spectaculaires
qu’à celle des écrivains spectateurs.
Pour saisir ce qu’est une
littérature-spectacle, référons-nous à ce que dit Flaubert du style dumasien:
“Les personnages de Dumas sautent des toits sur les pavés, reçoivent
d’affreuses blessures dont ils guérissent (presque immédiatement), sont crus
morts et reparaissent (aussitôt), et tout se mêle, court et se débrouille, sans
une minute pour la réflexion” (propos cité par Francis Lacassin dans la
post-face de Le meneur de loups,
Édition Omnibus). On peut utiliser cette
remarque ironique de la part de Flaubert pour définir grosso modo la
littérature–spectacle dumasienne fondée sur les facteurs suivants:
D’abord, on assiste à des
scènes grandioses, avec des effets visuels frappants tels que le sang qui
ruisselle des marches de l’escalier de l’auberge de Caderousse et un orage qui
éclate et ravage tout autour (Le Comte de
Monte-Cristo). Ce facteur domine dans son théâtre. Sa mise en scène de la
pièce Caligula exige cent soixante
costumes et la présence sur le plateau de quatre chevaux blancs.
Ensuite, c’est la capacité à
décrire des actions et des images de façon simultanée. D’après Claude Shopp, un
autre spécialiste du style dumasien, dans les entrées des grands chefs-d’œuvre
de Dumas, il y a toujours vingt à trente pages qui lancent l’action à une
vitesse vertigineuse. Dumas est capable d’écrire le mouvement de trois ou
quatre actions simultanées qui débouchent à un nœud dramatique. On se rappelle
les premières pages de Les Trois
Mousquetaires par exemple. À peine a-t-on fait connaissance avec un certain
personnage qu’il se livre déjà à des combats acharnés.
Enfin, le dialogue occupe une
place très importante dans l’art narratif dumasien. Il s’agit d’un va-et-vient
incessant avec des interjections et des répétitions en écho. On dirait un
ping-pong verbal composé de cadence, de rythme et d’allégro vivace. Les
mauvaises langues disaient que c’était un astuce d’Harpagon, étant donné que le
bout de ligne lui était compté au même tarif (80 centimes en l’occurrence) que
la ligne entière. En réalité il s’agit là d’un excellent moyen pour
reconstituer le réel. Sans doute est-ce la pratique et la maîtrise du spectacle
vivant qui font de Dumas un des dialoguistes les plus percutants de la
littérature. Lorsqu’on adaptait le roman Les
Trois Mousquetaires à l’écran, on pouvait en garder presque tels quels les
dialogues. On sait que les écrits
d’Alexandre Dumas ont la fougue du théâtre. Il suffit d’entendre les dialogues
d’un certain nombre de films pour pouvoir réaliser dans quelle mesure Alexandre
Dumas aide les dialoguistes d’aujourd’hui.
Tout ce que nous venons de
dire nous amène à constater que l’auteur
de Les Trois Mousquetaires était bien
le précurseur de la cinématographie. En effet, celle-ci puise ses techniques dans
le travail et dans le style dumasiens. Mais comment expliquer le fait
qu’Alexandre Dumas seul pouvait produire cette quantité énorme d’œuvres
littéraires: théâtre, romans, récits de voyage, mémoires? Il fonctionnait comme
un studio ensemble avec des collaborateurs à qui il donnait des consignes
précises du genre: “déplacer les scènes”, “alléger une séquence”, “ supprimer
un personnage”, “ajouter un rôle” etc. On reconnaît tout de suite dans tout
cela le montage d’un film.
En 1845, Eugène de Mirecourt
s’attaque à Dumas dans son livre: “Fabrique
de romans, Maison Alexandre Dumas et Cie”, L’auteur de Les Trois Mousquetaires est accusé de recourir au travail des
“nègres”. La réalité c’est qu’au dix-neuvième siècle, la collaboration au
théâtre est pratique courante. En ce qui concerne les romans dumasiens, les
collaborateurs donnent à Dumas des idées, des plans et même des premières
versions. Mais c’est bien Dumas qui réécrit tout. Alexandre Dumas romancier se
presse comme un réalisateur de films d’aujourd’hui. Il distribue des rôles à
ses collaborateurs comme un réalisateur travaille avec ses acteurs et ses
actrices dans un studio de cinéma. Une autre affinité du style dumasien et du
cinéma c’est que chacun des romans de Dumas devait être publié en feuilletons,
à la manière d’un téléfilm réparti en épisodes. Didier Decoin pensait que si
Dumas avait connu le cinématographe, il s’y serait trouvé comme un poisson dans
l’eau. Mais comme un réalisateur de cinéma, l’écrivain connaît les mêmes
contraintes, par exemple la cadence infernale des feuilletons ressemble bel et
bien au rythme d’un tournage.
D’ailleurs, chaque
feuilleton, comme chaque épisode de film, doit renfermer un contenu cohérent,
assez autonome mais bien lié à ce qui le précède comme à ce qui le suit. En un
mot, la littérature-spectacle que crée Alexandre Dumas prépare bien le terrain
pour ce septième art qui naît vingt-cinq ans après la mort de l’écrivain. C’est
une littérature de mouvements, d’images, d’actions.
Une anecdote racontée par
Catherine Toesca nous révèle combien le nom d’Alexandre Dumas s’attache au
cinéma. En 1907, le réalisateur américain Francis Bogg et le producteur William
N. Selig veulent tourner la première adaptation à l’écran du roman Le Comte de Monte-Cristo. Ces cinéastes,
après avoir trouvé les lieux pour les
décors extérieurs près de Los Angeles, choisissent une colline où ils
implanteront le studio pour les scènes d’intérieur. Cette colline tranquille,
encore inexplorée et vierges de caméras s’appelle Hollywood!
T.Q.Đ.