lundi 2 décembre 2013

« Les sentences parallèles, un jeu de mathématique moderne pour les anciens lettrés. » (Trương Quang Đệ)

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Sentences parallèles (internet)

 

Dans l’histoire de la culture du Vietnam, les sentences parallèles, comme par ailleurs les estampes, font partie du paysage du Tet. Aujourd’hui, elles deviennent plus rares par rapport au passé, mais elles existent, et, au lieu des caractères chinois, on a à la place pour la plupart du temps des mots en écriture latinisée écrits en cursif sur papier rouge et pendus sur le devant des maisons.
Mais qu’est-ce que c’est que les sentences parallèles ? Il s’agit de deux segments (syntagmes ou phrase) liés l’un à l’autre par une relation complexe de parallélisme.
Le Quy Don, un grand savant vietnamien du XVIIIe siècle, en a bien défini les règles de composition. Celles-ci, d’après lui, sont au nombre de six (Le Quy Don, Œuvres complètes, vol.2, livres 4, p.163). Premièrement, on met en correspondance des notions. Par exemple : jour / nuit, soleil / lune, guerre / paix…Deuxièmement, on met en correspondances des espèces. Ex : hirondelle / loriot, la rose / la fleur de pêche…Troisièmement, on met  en parallèle des mots redoublés du genre minh minh / hách hách (un phénomène poétique typiquement vietnamien). Quatrièmement, une quantité pour une autre quantité. Ex : cinq généraux / mille soldats…. Cinquièmement, une structure syntaxique pour une autre structure similaire. Ex : trois-quatre-cinq (nombre) / bleu-rouge-jaune (couleurs)… Sixièmement, une idée pour une autre idée.
L’histoire nous renseigne que le roi Tran Nhan Tong, après avoir repoussé la deuxième invasion mongole en 1288, sur le chemin de retour du champ de bataille, a vu devant un temple un cheval de pierre avec les pieds souillés de boue. Le roi imagine tout de suite que le cheval a participé lui-même au combat et vient de regagner sa place sur le socle. Inspiré de cette idée, il a composé deux vers devenus célèbres et qui peuvent être considérés comme une paire de sentences parallèles en chinois classique :
Xã tắc lưỡng hồi lao thạch mã
Sơn hà thiên cổ điện kim âu
Littéralement :
patrie deux fois se fatiguer pierre cheval
pays mille périodes se consolider or urne
Ce qui veut dire
(Pour) la patrie, le cheval de pierre s’est fatigué deux fois
(Et ainsi) le pays (comme) une urne en or se consolidera (pour) mille ans
On voit qu’ici se forment des couples de termes :
Patrie / pays ; cheval de pierre / urne en or; s’est fatigué / se consolidera ; deux fois / mille périodes.
Considérons maintenant un autre exemple plus complexe. On raconte que l’empereur patriote Duy Tan s’entretient un jour avec son précepteur français, un sinologue des plus érudits de l’époque. Celui-ci propose un segment de départ et demande à l’empereur de donner le segment d’arrivée.
Voici le segment de départ :
Rút ruột ông vua, tam phân thiên hạ
Littéralement : enlever intestin roi trois parties le peuple
Il s’agit d’un jeu de mot très subtil et très épineux qui réfère aux caractères chinois par-dessus le marché. On peut en dégager deux faits de natures différentes. D’une part, le segment veut dire dans son aspect politique : « On (les Français) enlève le pouvoir au roi vietnamien en divisant le pays en trois kỳ ». De l’autre, sur le plan graphique, le précepteur joue sur le caractère « vương » (roi) qui s’écrit en trois barres horizontales parallèles et un trait vertical au milieu. Dès lors, si on enlève le trait vertical, le caractère « vương » (roi) devient le caractère « tam » (trois).
Le problème paraît très difficile, mais la réplique du roi est presque immédiate :
Chặt đầu thằng Tây tứ hải giai huynh
Littéralement : Couper tête Français quatre mers fraternité.
L’aspect politique du segment d’arrivée est clair : Si on se débarrasse de l’occupation française, tout le peuple vivra dans l’union.
Ce qui est génial, c’est que sur le plan graphique, on a ici le mot « Tây » opposé au mot « vương » cité plus haut. Ce mot « Tây » (Français) s’écrit avec le caractère « tứ » (quatre) surmonté d’une tête. Alors, si l’on supprime cette tête, « Tây » (Français) deviendra « tứ » (quatre) qui évoque l’idée de quatre mers, c’est-à-dire l’humanité ou le peuple tout entier. Enfin ce qui est non moins admirable c’est que dans le segment du départ comme dans celui d’arrivée, les premiers termes (rút ruột ông vua / chặt đầu thằng Tây) sont en vietnamien tandis que  le seconds termes (tam phân thiên ha / tứ hải giai huynh) sont en chinois classique. C’est pour ainsi dire une projection du vietnamien en chinois classique.
Dans le langage des mathématiques modernes, on dira que dans une paire de sentences parallèles, le premier et le second segments se trouvent dans un isomorphisme.
Les dictionnaires de mathématiques nous donnent grosso modo ce qui suit :
Il y a un isomorphisme pour les ensembles E et F quand on peut trouver une application f qui fait correspondre aux éléments a, b, c, … de E des éléments a’, b’, c’ dans F (notion d’image). On peut trouver aussi une application inverse g qui fait correspondre aux éléments a’, b’, c’… de F des éléments  a, b, c, … de E (application bijective). En outre, il existe dans E une structure S qui fait correspondre au couple (a,b) dans E un élément c dans E et une structure S’ dans F qui fait correspondre au couple (a’,b’) juste l’élément c’, image de c par f.
On peut citer par exemple le cas de E (l’ensemble R des réels) et de F (l’ensemble des images de R dans l’application exponentielle). En dehors d’une application bijective, nous avons pour E la structure de groupe additif (S), et pour F la structure de groupe multiplicatif.
Ainsi, dans une paire de sentences parallèles, le segment de départ E et le segment d’arrivée F constituent un isomorphisme en ce sens qu’il y a une mise en bijection des mots d’une même partie du discours et des relations isomorphes de E dans F. Ces relations sont des références d’ordre linguistique, culturel, historique ou quelques fois des  jeux de mots et jeux de graphie.
Si, en mathématiques, on a des problèmes difficiles à résoudre comme les fameux théorèmes de Fermat formulé il y a déjà à peu près quatre siècles, ou des problèmes impossibles du type « quadrature du cercle », dans le domaine des sentences parallèles, on a aussi des segments lancés qui attendent toujours leurs homologues d’arrivée. Tel est le cas du fameux segment lancé par la poétesse Doan Thi Diem à l’encontre de son ami le Dr Quynh, dans « Héros des histoires populaires amusantes » : da trắng vỗ bì bạch
Littéralement : Peau blanche claque peau blanche
                      (mots vietnamiens)    (mots chinois)
Ce qui constitue la difficulté majeure dans cette composition du segment c’est qu’en dehors de la correspondance AB-CD (mots vietnamiens-mots chinois du même sens), on doit avoir une onomatopée pour « vỗ bì bạch » qui imite le bruit de l’eau qui coule sur le corps humain. De telle sorte que tout le segment signifie :
La peau blanche claque «  flop-flop »
Plusieurs tentatives ont été faites par de nombreux « lettrés » anciens et modernes pour en trouver un segment d’arrivée correct, mais jusqu’à aujourd’hui, à ma connaissance, aucune n’a abouti. [1]





[1] Quelques tentatives de segments d’arrivée que je connaisse :
Mots vietnamiens

Mots chinois
Signification
Gà đen
(coq noir)
kêu
(crier)
ô kê
(noir coq)
Le coq noir crie OK.
Trời xanh
(ciel bleu)
màu
(couleur)
thiên thanh
(ciel bleu)
Le ciel est d’un bleu d’azur.
Rừng sâu
(forêt profond)
mưa
pluie
lâm thâm
(forêt profond)
Il tombe une pluie fine dans la forêt profonde.
Cày lim
(charrue bois de fer)
kêu
(émettre du bruit)
canh cách
(charrue bois de fer)
La charrue en bois de fer fait clic clac.
(Note ajoutée par Phamthị AnhNga)

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