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Sentences parallèles (internet)
Dans l’histoire de la culture du Vietnam, les sentences parallèles,
comme par ailleurs les estampes, font partie du paysage du Tet. Aujourd’hui,
elles deviennent plus rares par rapport au passé, mais elles existent, et, au
lieu des caractères chinois, on a à la place pour la plupart du temps des mots
en écriture latinisée écrits en cursif sur papier rouge et pendus sur le devant
des maisons.
Mais qu’est-ce que c’est que les sentences parallèles ? Il s’agit
de deux segments (syntagmes ou phrase) liés l’un à l’autre par une relation
complexe de parallélisme.
Le Quy Don, un grand savant vietnamien du XVIIIe siècle, en a bien
défini les règles de composition. Celles-ci, d’après lui, sont au nombre de six
(Le Quy Don, Œuvres complètes, vol.2, livres 4, p.163). Premièrement, on met en
correspondance des notions. Par
exemple : jour / nuit, soleil / lune, guerre / paix…Deuxièmement, on met
en correspondances des espèces.
Ex : hirondelle / loriot, la rose / la fleur de pêche…Troisièmement, on
met en parallèle des mots redoublés du
genre minh minh / hách hách (un phénomène poétique typiquement vietnamien).
Quatrièmement, une quantité pour une autre quantité. Ex : cinq généraux /
mille soldats…. Cinquièmement, une structure syntaxique pour une autre
structure similaire. Ex : trois-quatre-cinq (nombre) / bleu-rouge-jaune
(couleurs)… Sixièmement, une idée pour une autre idée.
L’histoire nous renseigne que le roi Tran Nhan Tong, après avoir repoussé
la deuxième invasion mongole en 1288, sur le chemin de retour du champ de
bataille, a vu devant un temple un cheval de pierre avec les pieds souillés de
boue. Le roi imagine tout de suite que le cheval a participé lui-même au combat
et vient de regagner sa place sur le socle. Inspiré de cette idée, il a composé
deux vers devenus célèbres et qui peuvent être considérés comme une paire de
sentences parallèles en chinois classique :
Xã tắc lưỡng hồi lao
thạch mã
Sơn hà thiên cổ điện kim âu
Littéralement :
patrie deux fois se fatiguer pierre cheval
pays mille périodes se consolider or urne
Ce qui veut dire
(Pour) la patrie, le cheval de pierre s’est fatigué deux fois
(Et ainsi) le pays (comme) une urne en or se consolidera (pour) mille
ans
On voit qu’ici se forment des couples de termes :
Patrie / pays ; cheval de pierre / urne en or; s’est fatigué / se
consolidera ; deux fois / mille périodes.
Considérons maintenant un autre exemple plus complexe. On raconte que
l’empereur patriote Duy Tan s’entretient un jour avec son précepteur français,
un sinologue des plus érudits de l’époque. Celui-ci propose un segment de
départ et demande à l’empereur de donner le segment d’arrivée.
Voici le segment de départ :
Rút ruột ông vua, tam
phân thiên hạ
Littéralement : enlever intestin roi trois parties le peuple
Il s’agit d’un jeu de mot très subtil et très épineux qui réfère aux
caractères chinois par-dessus le marché. On peut en dégager deux faits de
natures différentes. D’une part, le segment veut dire dans son aspect
politique : « On (les Français) enlève le pouvoir au roi vietnamien
en divisant le pays en trois kỳ ».
De l’autre, sur le plan graphique, le précepteur joue sur le caractère
« vương » (roi) qui s’écrit en trois barres horizontales parallèles
et un trait vertical au milieu. Dès lors, si on enlève le trait vertical, le
caractère « vương » (roi) devient le caractère « tam »
(trois).
Le problème paraît très difficile, mais la réplique du roi est presque
immédiate :
Chặt đầu thằng Tây tứ
hải giai huynh
Littéralement : Couper tête Français quatre mers fraternité.
L’aspect politique du segment d’arrivée est clair : Si on se
débarrasse de l’occupation française, tout le peuple vivra dans l’union.
Ce qui est génial, c’est que sur le plan graphique, on a ici le mot
« Tây » opposé au mot « vương » cité plus haut. Ce mot
« Tây » (Français) s’écrit avec le caractère « tứ » (quatre)
surmonté d’une tête. Alors, si l’on supprime cette tête, « Tây » (Français)
deviendra « tứ » (quatre) qui évoque l’idée de quatre mers,
c’est-à-dire l’humanité ou le peuple tout entier. Enfin ce qui est non moins
admirable c’est que dans le segment du départ comme dans celui d’arrivée, les
premiers termes (rút ruột ông vua / chặt đầu thằng Tây) sont en vietnamien
tandis que le seconds termes (tam phân
thiên ha / tứ hải giai huynh) sont en chinois classique. C’est pour ainsi
dire une projection du vietnamien en chinois classique.
Dans le langage des mathématiques modernes, on dira que dans une paire
de sentences parallèles, le premier et le second segments se trouvent dans un isomorphisme.
Les dictionnaires de mathématiques nous donnent grosso modo ce qui
suit :
Il y a un isomorphisme pour les ensembles E et F quand on peut trouver
une application f qui fait correspondre aux éléments a, b, c, … de E des
éléments a’, b’, c’ dans F (notion d’image). On peut trouver aussi une
application inverse g qui fait correspondre aux éléments a’, b’, c’… de F des
éléments a, b, c, … de E (application
bijective). En outre, il existe dans E une structure S qui fait correspondre au
couple (a,b) dans E un élément c dans E et une structure S’ dans F qui fait
correspondre au couple (a’,b’) juste l’élément c’, image de c par f.
On peut citer par exemple le cas de E (l’ensemble R des réels) et de F
(l’ensemble des images de R dans l’application exponentielle). En dehors d’une
application bijective, nous avons pour E la structure de groupe additif (S), et
pour F la structure de groupe multiplicatif.
Ainsi, dans une paire de sentences parallèles, le segment de départ E et
le segment d’arrivée F constituent un isomorphisme en ce sens qu’il y a une
mise en bijection des mots d’une même partie du discours et des relations
isomorphes de E dans F. Ces relations sont des références d’ordre linguistique,
culturel, historique ou quelques fois des
jeux de mots et jeux de graphie.
Si, en mathématiques, on a des problèmes difficiles à résoudre comme les
fameux théorèmes de Fermat formulé il y a déjà à peu près quatre siècles, ou
des problèmes impossibles du type « quadrature du cercle », dans le
domaine des sentences parallèles, on a aussi des segments lancés qui attendent
toujours leurs homologues d’arrivée. Tel est le cas du fameux segment lancé par
la poétesse Doan Thi Diem à l’encontre de son ami le Dr Quynh, dans « Héros
des histoires populaires amusantes » : da trắng vỗ bì bạch
Littéralement : Peau blanche claque peau blanche
(mots vietnamiens) (mots chinois)
Ce qui constitue la difficulté majeure dans cette composition du segment
c’est qu’en dehors de la correspondance AB-CD (mots vietnamiens-mots chinois du
même sens), on doit avoir une onomatopée pour « vỗ bì bạch » qui
imite le bruit de l’eau qui coule sur le corps humain. De telle sorte que tout
le segment signifie :
La peau blanche claque « flop-flop »
Plusieurs tentatives ont été faites par de nombreux
« lettrés » anciens et modernes pour en trouver un segment d’arrivée
correct, mais jusqu’à aujourd’hui, à ma connaissance, aucune n’a abouti.
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