L'éducation parisienne du jeune Empereur jointe aux traditions chrétiennes de son illustre épouse, S.M. Nam Phuong, issue de l'élite de la société saigonnaise, parurent, aux yeux de Mgr Allys, le Vicaire apostolique du lien des circonstances encourageantes, pour la fondation d'un établissement secondaire catholique.
Ce projet répondait, en effet, au désir commun du milieu mandarinal et de celui des fonctionnaires et colons français, de trouver sur place l'instruction et l'éducation de haut niveau, capables d'assurer à leur progéniture l'accès à l'éventail des fonctions dont le pays avait besoin, pour s'assurer une autonomie convenable.
C'est ainsi qu'avec la discrète approbation de l'Administration française, fut mis au point le projet de la fondation de l'Institut de la Providence, établissement d'enseignement secondaire, du type classique, calqué sur ceux de la métropole.
Les grands ordres religieux et les congrégations enseignantes ayant décliné l'offre de présider à cette fondation, Mgr de Guebriant, alors Supérieur de la Société des Missions Étrangères de Paris, accepta de relever le défi de sa réalisation, lors de sa visite en Indochine, en 1931.
Dès lors, le successeur de Mgr Allys, Mgr Chabanon, allait pouvoir procéder à la bénédiction solennelle, en ouvrant, le 15 Septembre 1933, une classe de 6ème, à 2 sections, complétée par les 2 classes préparatoires de 7ème et de 8ème. Le tout comportait 132 élèves, sur les 190 qui s'étaient présentés. Dans ce nombre, on comptait 17 Français pour 125 Vietnamiens, parmi lesquels se trouvaient 28 catholiques, à côté des 103 confucéens, adeptes en faille du Culte des Ancêtres.
L'emplacement choisi était spacieux et aéré, se situant en bordure de l'ancienne avenue Khai Dinh, non loin de l'évêché et presque en face du couvent des Rédemptoristes canadiens.
De la terrasse qui surplombait les deux étages de cet immeuble central, de 73 mètres de long, on apercevait, au Sud, la colline du "Ngu Binh", dite "Écran du Roi", dressée comme un paravent tutélaire pour protéger "L'esplanade des Sacrifices", le Nam Giao, où S.M. l'Empereur accomplissait périodiquement les rites traditionnels de ses attributs de "Fils du Ciel".
De 1933 à 1939, quatre autres bâtiments disposés à l'équerre, allaient successivement compléter cet ensemble harmonieux, construit sur les plans de l'architecte-entrepreneur Dinh Doan Sac - conseillé par le R.P. Douchet, sauf pour la chapelle, élégante et moderne, dont les plans avaient été gratuitement fournis par un architecte ami de France André Duthoit. Le sol de cet emplacement rizicole étant marécageux, c'est sur une forêt de bambous imputrescibles que reposent les constructions selon une technique originale qui allaient faire ses preuves de solidité, lors des futurs bombardements de la capitale impériale. L'approbation stimulante des milieux officiels s'était largement manifestée, à la cérémonie de l'inauguration, par la présence des personnalités, telles S.E. Tôn Thất Hân, ancien Régent de la Cour, et du côté français, le Résident Supérieur Lavigne, assisté du chef de la Sureté, Sogny et, pour les ecclésiastiques, du R.P.

Divers professeurs "laïcs" complétaient l'équipe, tels que MM. Trần Điền (futur Sénateur), Tôn Thất Đàm, Tuyên, sans oublier Mr. Tạ Quang Bửu (futur Ministre de la jeunesse à Hanoi).
L'enseignement, aligné sur celui de la métropole, comprenait dès la 6ème l'étude du latin (dans l'une des 2 sections), de même qu'il allait compléter, en 4ème, celle du Grec (facultatif). Ces disciplines furent enseignées avec maestria par le R.P. Massiot, aidé de quelques autres. Bien sûr, l'accent était mis sur l'étude approfondie de la langue française, dans sa syntaxe et sa littérature.
Ainsi, ce programme se trouvait - sans négliger les mathématiques - plutôt axé sur les "humanités", retenues comme le gage d'une formation solide et universelle. De fait, cela allait permettre à bon nombre d'élèves d'entreprendre les carrières les plus variées : juridique, universitaire, médicale, militaire, voire sacerdotale.
Plus tard, avec l'évolution des circonstances et des mentalités, l'accent sera davantage mis sur les sciences mathématique et physique, sous la direction savante du R.P. Duval, entré à l'Institut de la Providence, après son expulsion de la Chine communiste, ainsi qu'avec la compétence du R.P. Oxarango, cumulant une licence ès Lettres, avec talents de physicien et de cinéaste, fort appréciés de ses élèves. Beaucoup de ceux-ci en témoigneront, une fois arrivés en France et après s'être munis, sans trop de peine, des diplômes des grandes écoles : Polytechnique, Centrale, École Supérieure d’Électricité, ou H.E.C. etc...
Précisons que l'atmosphère de l'Institut de la Providence était faite du respect de l'ordre, tempéré par une sorte de familiarité dans les rapports maître - élèves et entre camarades.
Comment en donner une meilleure idée qu'en cédant la plume à celui des anciens élèves que sa notoriété avait déjà désigné pour présider en 1958 le 25ème anniversaire de la fondation de l'Institut de la Providence, Mr Tôn Thất Thiện ?
Après avoir rappelé ses débuts à l'École Paul Bert, il brosse, avec humour, un tableau de ses années "de la Providence".
(...) Comme mes années de scout, mes années d'élève à la Providence ont, dans une très grande mesure, contribué à me rendre apte à avancer plus tard, sans difficulté et d'un pas ferme dans les études que j'allais entreprendre et sur le chemin de la vie.
L'Institut de la Providence, créé en 1933, était une école "Tây" (enseignement français et appliquant le programme d'enseignement préparant au baccalauréat métropolitain). Les fondateurs de l'établissement eurent une vision très large; c'est pourquoi l'influence que l'école allait exercer plus tard fut très grande. L'école relevait de l'Église catholique et était une école française ; elle avait donc, forcément, pour arrière-pensée de promouvoir le catholicisme et la France. Mais, en l'occurrence, on fut très discret et très subtil, ne se livrant à aucun prosélytisme de nature à gêner quiconque. Pendant toute la durée de mes études à la Providence, de l'année scolaire 1936-1937 à l'année scolaire 1943-1944, je n'ai jamais subi, ni directement, ni indirectement, la moindre pression tendant à m'amener à recevoir le baptême ou à "suivre les Tây".
C'était un grand établissement, doté d'un corps enseignement digne de respect. C'était en outre une école secondaire privée, influente, du Centre Viet Nam. De ce fait, l'école attirait des élèves non seulement du Centre Viet Nam tout entier, mais aussi du Sud, en particulier parmi les enfants des familles catholiques.
Bien que l'école accueillit en même temps des élèves français et des élèves vietnamiens, je n'ai jamais ressenti la moindre discrimination par rapport aux élèves français. Les professeurs et les pères faisaient preuve d'une parfaite équité à l'égard des uns et des autres.
Peut être avaient-ils plutôt tendance à prendre la défense des élèves vietnamiens. Aussi, lorsqu'une bataille opposait des élèves vietnamiens, souvent les pères administraient une gifle aux Français d'abord, avant de l'administrer aux Vietnamiens.
(...) La seconde remarque que je tenais à faire à propos de la Providence, c'est que j'y ai reçu une instruction très sérieuse, en particulier en matière de langues vivantes - français et anglais. Les enseignants, français comme vietnamiens, avaient une grande compétence et enseignaient avec conscience et attention, tout en étant sévères, exigeant de leurs élèves un grand effort. (...) (1)
On le voit, l'Institut de la Providence s'était proposé avant tout, de mettre un corps professoral, issu, en grande partie, du clergé missionnaire, au service de l'élite de la capitale impériale, afin de donner à ses enfants une formation intellectuelle et morale, capable de les préparer aux responsabilités qui les attendaient, à leur majorité.
Bien entendu, cet établissement a dû s'adapter aux évènements qui ont pesé sur les destinées du Viêt Nam, entre les années 1933 et 1975. Au cours de ces quelques quarante années cruciales, on peut distinguer plusieurs étapes historiques.
I- 1933-1945: Période de fondation
II- 1946-1963: Période d'épanouissement
Parmi les évènements qui ont ébranlé le cours des choses, au Viêt Nam, le "Coup de Force Japonais" du 9 Mars 1945 compte au premier chef : d'abord en guise de contre-coup de la défaite française en 1940, en face de l'agresseur nazi. Quelles qu'aient été les visées du Japon, une cassure s'était produite, dans le dispositif de l'Administration française, en Indochine (rallié bon gré, à la cause du Maréchal Pétain). Tout sera remis en question, à la suite de la capitulation de l'Allemagne Hitlérienne; mais rien ne sera plus comme avant, dans l'ancienne Indochine française. Sans entrer dans les détails du retour de la présence française, avec le Général Leclerc et, plus tard, le Maréchal de Lattre de Tassigny, tout finira par craquer, au désastre de Diên Biên Phu (1954)...
Cependant, contre toute attente, L'Institut de la Providence traversait ces orages sans sombrer, en dépit des blessures périodiques de la guerre.
L'établissement surnageait, parce qu'il s'adaptait souplement à l'évolution des mentalités et à la marche irrésistible vers une indépendance, trop longtemps marchandée à ce pays, mûr pour la prise en mains de ses destinées.
En particulier, l'accession au pouvoir du Président Ngô Dinh Diêm (1958-63) permet à un certain nombre d'anciens élèves de l'Institut de la Providence, connus de Mgr Ngô Đình Thục, d'être appelés à des fonctions gouvernementales qu'ils exerceront, avec compétence et probité.
Au cours de cette période, une Université catholique fut fondée à Dalat et fut dirigée par le R.P. Nguyễn văn Lập, un ancien professeur et aumonier de l'Institut de la Providence. Tandis que, à Hué, était fondée une Université d'État, dirigée par le R.P. Cao Văn Luận. Celui-ci fit appel à des professeurs de l'Institut de la Providence, comme les Pères Oxarango et Lefas pour y assurer des cours, dans les Facultés des Lettres et de Pédagogie. En outre, la fonction de Doyen de la Faculté des Lettres fut confiée à un ancien élève de la Providence, M. Lê Thanh Minh Châu dont les diplômes avaient été acquis aux États-Unis.
III- 1963-1975...: "Vogue la Galère !"
La bien triste disparition du Président Ngô Đình Diệm et de ses frères inaugura une période de confusion au Sud Viêt Nam dont le Nord Viêt Nam allait tirer parti, pour préparer la "Réunification" dont il rêvait. La réalisation de ces projets de mainmise sur le Sud fut entachée d'évènements parfois tragiques comme celui du fameux Têt Mâu Thân (Fév. 1968) qui donna lieu, à Hué, à une hécatombe de quelque 3000 victimes civiles dont - hélas - plusieurs jeunes élèves de la Providence.
Néanmoins à cette époque, un bon nombre d'anciens élèves, bacheliers de l'Institut de la Providence, entraient à l'Université de Hué, pour y préparer une licence ou un diplôme de Pédagogie, leur ouvrant la carrière du professorat, Ainsi, notre établissement remplissait une partie des ambitions de ses Fondateurs, traduites par ce titre d'Institut.
Dès lors, une partie des actuels professeurs de Lettres et de Langues vivantes de la Province de Thua Thiên ont été formés, depuis leurs années de Secondaire jusqu'à l'Université, par leurs professeurs de l'Institut de la Providence.
IV- 1975...: Justification finale du titre d'Institut
De surcroit, on note avec intérêt qu'un bon groupe de professeurs de Langues vivantes,

Ils ont ainsi formé une petite association (le Cenlet), discrètement encouragée par les autorités officielles, comme le montre l'envoi de plusieurs d'entre eux, en France, pour y suivre des stages (de 9 mois ou davantage) en vue de leur perfectionnement professionnel.
Un manuel d'enseignement du français aux Vietnamiens est prévu en 12 tomes et intitulé "Tiếng Pháp" édité par Hatier - Didier (et prochainement diffusé par une maison d'édition au Viêt Nam). Il a bénéficié du concours de plusieurs jeunes professeurs vietnamiens, parmi lesquels se trouve Mme Pham Thi Anh Nga qui enseigne à la Faculté de Pédagogie de l'Université de Huê.
Comment ne pas voir, dans ces faits encourageants, la justification "providentielle" du titre, donné dès le début, à l'Institut de la Providence par le fin lettré qu'était le R.P. Nguyên van Thích: "Thiên Huu Hoc Duong"(3).
(1) Tây: littéralement "Occidental", terme à connotation péjorative utilisé à la place du terme "français".