mardi 13 janvier 2009

LE LANGAGE COMME EXPRESSION DES REPRÉSENTATIONS SOCIALES, DES STRUCTURES MENTALES ET DE LA CULTURE (1997)

( PHAM THI Anh Nga )


Le langage n’est pas seulement un instrument de communication mais aussi l’expression des représentations sociales, des structures mentales et de la culture. Parler dans une autre langue que la sienne est une aliénation. C’est l’idée que développe J-R.Ladmiral, en soutenant que le fait de parler une autre langue « m’aliène à moi-même, corps et âme. Il y a mise en jeu de toute la dialectique du Même et de l’Autre où, dans chaque langue, je me découvre un autre moi-même ; et ce, jusque dans mon corps, qui me confronte à l’étrange expérience de faire la connaissance insolite de cet Autre que je suis moi-même, dans une autre langue » (1989:83) [1]. J-R.Ladmiral affirme même qu’il y a là « deux vécus existentiels différents ».
Nous aimerions rajouter à cette constatation du Même et de l’Autre de J-R.Ladmiral le fait que la distinction entre ce Même et cet Autre ne serait pas aussi nette qu’elle se donne à croire, qu’une personne bilingue est à la fois le Même et l’Autre qui ne s’excluent pas mais se complètent. Parler une autre langue suppose un nouveau mode de comportement qui s’ajoute et qui cohabite avec le mode de comportement qu’on a déjà avec la langue maternelle. C’est ce qui se manifeste par exemple quand on parle une langue étrangère tout en calquant malgré soi des façons de parler ou des stratégies discursives, pragmatiques ou rhétoriques propres à la langue maternelle, tout comme quand on parle sa langue maternelle en faisant inconsciemment un jeu d’esprit calqué sur une langue étrangère. Personnellement, étant enseignante et formateur de professeurs de français des lycées du Vietnam depuis 20 ans, je suis toujours consciente des différences dans les représentations et catégorisations du monde réel liées à chaque système linguistique, que ce qui est du ne étage en vietnamien correspond au (n-1)e étage en français. Je m’applique toujours à «corriger» mes étudiants, et voilà qu’un jour, je me surprends répondant à un autre résident du pavillon qui m’a demandé de quel étage j’étais (l’échange se passe en français) : « Au 3e étage! ». En fait, je suis au « 2e étage français » et au « 3e étage vietnamien » !
Une personne bilingue serait donc, pour nous, et dans une certaine mesure, biculturelle, et aurait une identité culturelle double : elle se trouverait dans un continuum qui va de l’un à l’autre pôle de ce que J-R.Ladmiral nomme le Même et l’Autre. Les délimitations de cette identité, comme toute autre délimitation d’identité culturelle, ne sont pas faciles à déterminer, d’une part par l’extension de la notion de culture même, d’autre part, par la multiplicité des cultures auxquelles peut appartenir une même personne : nationalité, sexe, catégorie socio-professionnelle ... C’est aussi en ce sens que nous nous retrouvons pleinement dans la problématique d’une « langue-culture », par rapport aux notions de langue et de culture envisagées séparément l’une de l’autre.
Pourtant, dans la communication interculturelle, le locuteur non natif n’est pas forcément une personne vraiment bilingue, et son comportement reste en général bien marqué par son identité culturelle et ses habitudes liées à sa langue maternelle et à sa culture. Et cela va influencer fortement son calcul du sens en situation de communication exolingue.

[1] LADMIRAL J.-R., LIPIANSKY E.M., 1989, La communication interculturelle, Armand Colin, Paris, 318 p.


Extrait de “Clivages linguistiques. Statut du locuteur non natif.”
, PHAM THI Anh Nga, « Le calcul du sens dans la communication interculturelle. La rencontre entre Français et Vietnamiens », Rapport-projet de DEA, Université de Rouen, France, 1997 

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