« Modeste je vis, modeste je mourrai ; mais si je puis laisser dans vos esprits les idées vraies et généreuses, ce sera pour moi la plus douce des récompenses et la plus belle des gloires.[…] » (Guyau, Le maître et l’élève)
Ce texte qui tente de retracer un portrait de mon père défunt, Monsieur Phạm Kiêm Âu, est conçu “sur commande” pour une étude portant sur l’ « Education des filles et émergence des élites francophones au Viet nam de 1920 à 1945 : quel héritage ? ». Les sources d’informations en sont nombreuses : réponses à un questionnaire élaboré en vue de recueillir des témoignages, échanges d’emails avec / entre anciennes élèves et / ou ancien(ne)s collègues de Maître Âu, récits et correspondances pré-existants le concernant…, sans oublier une documentation riche et plus ou moins éparpillée de notre famille. L’accent y est mis sur l’image de Maître Âu dans les yeux de ses anciennes élèves, et sur quelques traits essentiels des grandes étapes de son existence.
(Suite)
3. Ce qui reste…
3.1. Ses enseignements
Voyons comment les anciennes élèves reconnaissent les enseignements de Maître Âu en répondant à cette question de l’enquête : « D’après vous, en dehors des connaissances liées aux matières enseignées, vous a-t-il transmis d’autres leçons sur la vie ? »
« Il nous a enseigné non seulement des mots et des connaissances, mais encore de la Morale, de la philosophie sur la vie. » (Vương Thuý Nga) – « Maître était pour moi un modèle lumineux, non seulement en tant qu’enseignant, mais aussi en tant qu’être humain bien consciencieux, dévoué, plein de sacrifices et d’affection. » (Vương Thuý Loan) – « Maître nous a donné une bonne leçon sur la mise en application des habiletés spirituelles, des méthodes pour bien mémoriser les faits… D’après moi, c’était l’un des professeurs les plus compétents qui se consacraient entièrement à leur tâche, que plus tard il serait difficile de retrouver. » (Trần Thuỳ Mai) – « Il m’a enseigné des leçons précieuses sur l’affection entre prof et élève, et l’amour des enfants et du métier. Je crois que pour lui, pour enseigner on s’y met tout à fait, non seulement son cœur mais aussi son âme. Je le trouvais heureux ou attristé selon son vécu avec chacun de ses élèves, sans distinction entre les bons et les faibles, entre les sages et les moins sages. […] Je respecte ses façons de faire, même si parfois il était un peu trop minutieux. Mais cet aspect minutieux est bien sa propre particularité, ça reflète son amour du métier et l’attention attribuée à chaque avancement de chacun de ses élèves […]. » (Đoàn Phương Mai). – « Sa qualité seule suffit déjà pour nous enseigner un exemple à suivre. C’est le sérieux dans toute chose qu’on poursuit, la modération dans les paroles et les actes, l’attention attribuée à tous et à tout dans son environnement, la ferveur d’embellir les générations postérieures. » (Đặng Ngọc Lệ Khánh) – « Lui-même et sa vie étaient déjà pour nous une leçon, celle du comment faire pour être un homme : c’est savoir vivre dans la vertu, dans l’humanité, la fidélité et la loyauté, c’est savoir aimer et se sacrifier. » (Trương Thị Huệ) – « Beaucoup, dans mon cas personnel. Maître m’a enseigné le respect de soi, l'honnêteté, le courage, l'empathie, la tolérance envers les autres, la compassion, le partage d’affection avec des gens succombés dans la détresse et la souffrance. Il enseignait tout cela en moyennant tout son cœur, ce qui fait que ses enseignements étaient profondément imprégnés en moi. » (Nguyễn Thị Thuý Loan) – « Maître a dit : Efforcez-vous d’apprendre, sinon plus tard vous aurez à respirer la poussière des voitures de vos amis. » (Hồng Hạnh Luguern).
Interrogées sur les éventuels propos ou paroles de Maître Âu relatifs à des relations hommes-femmes et à l’égalité ou inégalité des sexes à l’époque, les anciennes élèves déclarent qu’elles n’ont rien trouvé de particulier chez lui. « Jamais », affirme Hồng Hạnh Luguern. « On peut dire qu’il était très égalitaire dans ce domaine », déclare Vương Thuý Nga. Pour Đặng Ngọc Lệ Khánh, « Maître n’a jamais eu de discrimination entre garçon et fille. Avec lui, il n’y avait que des élèves, et c’est tout ». Trương Thị Huệ et Trần Thuỳ Mai avouent n’avoir pas ou pas encore eu l’occasion de l’entendre parler de tels problèmes. Nguyễn Thị Thuý Loan, quant à elle, présente une observation bien originale à ce propos : « Jamais. Je ne comprends pas la question. J’étais bien une fille mais personnellement je pense que j’ai bénéficié de lui une attention particulière. C’est parce que j’étais une bonne étudiante ? ».
3.2. La petite pierre pour l’édifice
De son vivant, c’est en toute modestie que Maître Âu reconnaissait en lui-même l’image d’ « une petite luciole ». Parmi les textes d’auteurs qu’il tenait vraiment à cœur, se trouve cet extrait de Guyau dont le début m’a servi de prologue pour ce portrait de lui, et que vous trouverez un peu plus en bas dans la partie 4 « Un arrière-plan souvent méconnu ».
Mais que justice soit faite ! Qu’en disent ses anciennes élèves ? Essayons voir.
Voici ce que certaines d’entre elles ont répondu aux questions : « D’après vous, pour l’œuvre éducative du Vietnam, a-t-il eu une contribution digne d’être reconnue ? Existe-il quelque chose de lui susceptible d’être considéré comme une valeur de la vie, exemplaire pour les générations postérieures ? » :
« Je crois que tous les enseignants sont plus ou moins des éducateurs, car ils forment des individus utiles à la société. Le professeur du secondaire ne s’occupe que de quelques matières du programme, par conséquent la réussite ou l’échec des élèves ne peuvent être considérés comme appartenant à qui que ce soit. Pourtant chaque professeur a plus ou moins des influences sur ses élèves. Dans le cas de Maître Âu, c’était un professeur doté de nombreuses qualités, il était donc un modèle lumineux, un exemple à suivre pour ses élèves (alors que ceux dont l’acte ne concorde pas avec la parole ne peuvent pas servir d’exemple aux élèves). Maître a éduqué ses élèves par son être même. Le jour où j’avais le premier cours avec lui, j’avais déjà entendu parler de son état d’ “exil” à Huế / Quảng Bình pour avoir participé au mouvement Trần Văn Ơn, donc autour de sa personne existaient déjà plusieurs mythes. L’avoir comme enseignant était aussi un honneur dans une vie d’élève. » (Vương Thuý Nga) – « Oui, évidemment. Il formait d’innombrables générations, et forcément plusieurs de ses ancien(ne)s élèves sont devenu(e)s enseignant(e)s parce qu’ils / elle avaient admiré Maître et voulaient lui ressembler, poursuivre son chemin. » (Vương Thuý Loan) – « Bien sûr, à mon sens, pour l’œuvre éducative du pays Maître a beaucoup contribué, en formant des générations consécutives d’élèves, et ils sont devenus des êtres humains et confirmés […]. Sa vie vertueuse reste à jamais un brillant exemple pour les générations à venir. » (Mai Băng Thanh) – « Il était fort dans sa spécialité, enseignait de toutes ses forces, avait toute une vie consacrée à l’œuvre éducative. Sa façon d’enseigner et de vivre était unique et brillant, personne ne pourrait lui ressembler. » (Trần Thuỳ Mai) – « Il était très reconnu, ce que confirmeront plus tard ses élèves de l’époque. La raison, c’est qu’il enseignait bien, mais peut-être aussi parce qu’il était l’image représentative des enseignants qui se consacrent pleinement aux élèves ». (Công Huyền Tôn Nữ Thu Quỳ) – « D’après moi, Maître a considérablement contribué à l’éducation nationale. On n’a pas besoin de choses grandioses, c’est sa vie même, ce sont ses enseignements et ses activités de classe qui engendraient des individus excellents, tant sur le plan moral que pour leurs aptitudes. L’honnêteté était jugée en priorité dans ses cours. » (Kiều Hạnh) – « Il se consacrait entièrement à la transmission et à l’enseignement, dans l’espoir de voir ses élèves obtenir de bons résultats. » (Nguyễn Anh Phi) – « Mais oui. Maître a réussi à former des générations de jeunes, qui sauraient aimer l’école, bien éduqués, dotés d’un cœur humain. Pour d’autres élèves plus proches de lui, il y aurait éventuellement un supplément de patriotisme ardent. » (Đặng Ngọc Lệ Khánh) – « Pour moi, non seulement il formait des générations d’élèves munis de compétences, de savoirs scientifiques, Maître était aussi un modèle éclatant de vertu, de fidélité, d’humanisme et de miséricorde sans fin. » (Trương Thị Huệ) – « Les apports de Maître à l’œuvre éducative de la nation étaient énormes. La valeur de la vie la plus grande qu’il nous a laissée, c’est lui-même, le modèle sans tache de la conscience professionnelle, de la morale humaine et de l’éthique du métier, de la générosité, de la fidélité, de l’humanité et de l’affection entre maître et élève. » (Nguyễn Thị Thuý Loan) – « J’ignore comment il a contribué à l’éducation du pays, mais dans le domaine de la littérature française il a beaucoup aidé ses élèves. Une jeune fille revenue du maquis, après seulement quelques années d’apprentissage avec lui, s’est déjà munie d’une connaissance assez importante en littérature française. » (Hồng Hạnh Luguern).
Le corps enseignant de l’école Đồng Khánh (1973-1974)
Manuscrit de Maître Âu, en bas de la photo : « Trường nữ Trung học Đồng Khánh Huế / Niên khoá 1973-1974 / 5 giờ chiều thứ ba 15 tháng 1 năm 1974 / (23 tháng chạp năm Quý-Sửu) / Dãy nhà phía trái / (từ ngoài đi vào) »
(École secondaire des jeunes filles Đồng Khánh Huế / Année scolaire 1973-1974 / 5h de l’après-midi du 15 janvier 1974 / (le 23 du 12e mois de l’Année du Buffle) / Bâtiment de gauche / (en entrant) )
(Đồng Khánh Mái trường xưa 1997)
4. Un arrière-plan souvent méconnu
4.1. « Modeste je vis, modeste je mourrai » (Guyau)
Le lycée-collège Đồng Khánh où Maître Âu enseignait pendant plus de vingt ans n’était pas le seul établissement où il accomplissait sa tâche d’enseignant. Le premier poste de Maître Âu se trouvait au Lycéum Bassac à Cần Thơ (1944). Ensuite c’était dans quelques écoles à Saigon, puis à Đồng Hới dans l’établissement Chơn Phước Phượng, avant qu’il vienne s’installer à Huế jusqu’à la fin de ses jours.
Maître Âu à Đồng Hới
À gauche : À l’École Chơn-Phước-Phượng – À droite : Avec son manuscrit « Non sông nào phải buổi bình thời » (Le pays n’est point à une époque de paix, de Nguyễn Bỉnh Khiêm)
Rien qu’à Huế (de 1954 à 1982), on peut citer de nombreux établissements qui l’avaient comme professeur : établissements secondaires tels que les lycées ou collèges Quốc Học, Đồng Khánh, Nguyễn Tri Phương, Nguyễn Du, Nông Lâm Súc, Bồ Đề, Bán Công, Jeanne d’Arc[1], et universitaires comme la Faculté des Lettres et l’École Normale Supérieure, établissements membres de l’Université de Huế… C’est en 1982 et à ses 63 ans, qu’il terminait sa carrière d’enseignant à l’École Normale Supérieure de Huế.
Au niveau secondaire, le plus souvent Maître Âu enseignait le français, mais il lui arrivait aussi d’enseigner (plus rarement et surtout dans un premier temps, vers les années 50 du 20e siècle) les mathématiques et la physique. À l’université, dans les départements de français qui formaient de futurs enseignants et des licenciés en langue francaise, il s’occupait de différents modules : Lecture dirigée, Étude d’œuvre, Grammaire pratique, Littérature française, Méthodologie (Pratiques méthodologiques)…
Un premier aspect de cet arrière-plan (ou face cachée) expliquerait le dévouement sans fin de Maître Âu à ses élèves. Il s’agit de ce texte de Guyau, considéré comme sa propre devise, et même comme héritage spirituel qu’il laissera plus tard à la seconde génération d’enseignants dans la famille :
« Modeste je vis, modeste je mourrai ; mais si je puis laisser dans vos esprits les idées vraies et généreuses, ce sera pour moi la plus douce des récompenses et la plus belle des gloires. Lorsque je ne serai plus, lorsque devenus grands, vous aurez peut-être oublié le maître de votre jeunesse, quelque chose de lui restera en vous sans que vous y songiez. Quand vous lirez, celui qui aujourd'hui vous apprend à lire sera encore à moitié avec vous ; quand vous écrirez, celui qui le premier a guidé votre main sera encore de moitié dans votre travail ; quand vous penserez à vos devoirs, à votre patrie qui attend de vous votre bonheur, votre maître aura sa part dans ces pensées généreuses qu'il vous a inspirées dès l'enfance. Non, je ne mourrai pas tout entier, car je revivrai en vous.
Enfants, votre maître vous aime, il vous aimera toujours. Que vous demande-t-il en échange ? Rien qu'un peu d'attention à ses paroles, un peu de respect pour ses leçons, et, si vous avez du cœur, un peu d'affection pour lui. »
Guyau, « Le maître et l’élève »
Maître Âu avait chaque année un carnet de bord, où étaient notés pour chaque classe la liste des élèves, le plan de chaque classe avec la photo de chacun(e) des élèves, et des mentions relatives à chacun(e): un CV sommaire, des résultats obtenus, des souvenirs marquants, etc.. À la toute première page du carnet, figurait toujours ce mot d’ordre (en langue vietnamienne, avec des lettres en majuscules bien tracées de ses propres mains), éventuellement accompagné d’un dessin de brûle-parfum au calambac (lư hương) , le tout disposé solennellement tel sur un autel : « TỔ QUỐC TRÊN HẾT – TẤT CẢ CHO TỔ QUỐC – VÌ TỔ QUỐC, CHỈ VÌ TỔ QUỐC » (La Patrie par-dessus tout – Tout pour la Patrie – Pour la Patrie, rien que pour la Patrie). Lui qui n’avait pas du tout le don pour les arts plastiques … et l’effet était déjà très direct pour la petite enfant que j’étais à l’époque.
Il a fallu que j’atteigne un certain âge pour commencer à découvrir, petit à petit, l’homme qu’était mon père.
Et j’ai appris que, depuis son enfance, dès sa naissance même, la fatalité lui avait réservé un coup dur, fatal même. Baptisé “Kim Âu” par son père, il n’a malheureusement jamais pu bénéficier de ce prénom sacré aussitôt perdu.
Une parenthèse pour la signification de “kim âu”. Dans la conception traditionnelle des Vietnamiens de jadis, le mot composé sino-vietnamien “kim âu” désignait l’écluse en or (ou en bronze), symbole d’un territoire uni et solide. Plus tard, il était utilisé pour faire allusion à l’œuvre d’une nation. Le mot figurait dans le poème très connu « Chiêu Dương mộ bạc » (Arrêt de barque un après-midi à l’embarcadère Chương Dương)[2] du grand lettré vietnamien Ninh Tốn (1734-1790) de l’époque des Tây Sơn. Une autre anecdote concernant “kim âu” : selon une légende ancienne, après une victoire remportée contre des envahisseurs Nguyên, un jour les gens aperçurent que les jambes des chevaux en pierre, en face du mausolée de l’ancien roi Trần Thái Tông, étaient couvertes de boue. Ils interprétèrent le fait en disant que les chevaux en pierre (simples objets inanimés) étaient effectivement partis sur les champs de bataille. Le bruit finit par parvenir jusqu’au roi Trần Nhân Tông. Dans un moment d’euphorie, celui-ci improvisa ces deux vers : « Xã tắc lưỡng hồi lao thạch mã / Sơn hà thiên cổ điện kim âu » (Le pays à deux reprises voit ses chevaux en pierre partir / La patrie pour mille époques renforce son écluse d’or)[3].
Belle signification pour un prénom. Pourtant à cause de la prononciation “déviée” du dialecte de Sa-đéc (lieu de naissance de Maître Âu) qui ne fait pas la distinction entre “im” et “iêm”, “kim” et “kiêm”, et puisque le parent chargé de l’affaire était lui-même … analphabète, l’acte de naissance du petit Âu a été enregistré avec le nom en entier Phạm Kiêm Âu (au lieu de Phạm Kim Âu), nom qu’il aura à porter depuis, jusqu’à la fin de ses jours.
Né en 1919, fils cadet d’une famille pauvre de neuf enfants, le jeune Phạm Kiêm Âu a reçu une ferme éducation de ses parents, d’une mère très douce, plutôt effacée, et surtout d’un père, artisan dans le domaine d’argenterie, qui travaillait dur pour nourrir toute la famille. Le jeune Âu a hérité de son père des qualités qu’il sera plus tard déterminé à transmettre à ses enfants : loyauté, honnêteté, piété filiale, fidélité et sens de l’honneur. Tout comme son père, il a vécu transparent et est resté transparent durant toute sa vie.
À gauche : Maître Âu en 1948 à Sài Gòn
– À droite : Maître Âu avec son père (assis), sa femme et ses premiers enfants à Saigon, vers 1961
Les valeurs qu’il a léguées à ses descendants (dont je fais partie) peuvent se résumer dans de nombreux proverbes, maximes… qui jadis lui servaient de devises, et qui sont devenus plus tard pour moi des mots d’ordre :
« Ne t’attends qu’à toi seul. » – « Nos plus sûrs protecteurs sont nos talents. » – « Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins. » (La Fontaine) – « Un frère est un ami qui nous a été donné par la nature. » – « L’union des enfants fait le bonheur de la famille. » – « Aimez-vous bien les uns les autres. » – « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur fait que qui veut faire l’ange fait la bête. » (Pascal) – « Mieux vaut avoir affaire à Dieu qu’à ses saints. » – « Exiger la reconnaissance, c’est presque mériter l’ingratitude. » – « L'accomplissement du devoir, voilà, jeunes élèves, et le véritable but de la vie et le véritable bien. »…
… éventuellement dans du folklore vietnamien :
« Người ta đi cấy lấy công / Tôi nay đi cấy còn trông nhiều bề » (D’autres vont aux semailles pour être payés contre leur labeur / Moi, en allant semer je compte sur bien des choses) – « Ai ơi chí giữ cho bền / Dù ai xoay hướng xoay chiều mặc ai » (Oh mon cher, garde ta volonté bien ferme / Tant pis pour quiconque change de sens ou de direction) – « Cát bay vàng lại ra vàng. / Những người quân tử dạ càng đinh ninh » (Le sable envolé, l’or redevient l’or. / Les honnêtes hommes sentent leur cœur bien déterminé) – « Dù ai nói ngả nói nghiêng, / Lòng ta vẫn vững như kiềng ba chân » (Peu importe le racontar des gens, / Mon cœur reste stable comme s’il était sur ses assises) …
… ou encore dans des phrases d’auteurs, surtout celles de Victor Hugo, extraites de « Les Misérables », qu’il a recopiées dans ses lettres adressées à ses enfants (mars-avril 1994), peu avant son départ définitif (septembre 1994) :
« Mes enfants, voici que je ne vois plus très clair, j’avais encore des choses à dire, mais c’est égal. Pensez un peu à moi. » – « Mes enfants, ne pleurez pas. Je ne vais pas très loin. Je vous verrai de là. Vous n’aurez qu’à regarder quand il fera nuit, vous me verrez sourire. […] Je vais donc m’en aller, mes enfants. Aimez-vous bien toujours. Il n’y a guère autre chose que cela dans le monde : s’aimer. Vous penserez quelquefois au pauvre qui est mort ici. » (Victor Hugo, Les Misérables).
Suite à une rechute de tuberculose où il s’est courageusement lutté mais où le reste de ses forces ne lui était plus suffisant, il s’est éteint le 10 septembre 1994, à l’âge de 75 ans.
Ses anciennes élèves résidant à l’étranger ont fait une collecte et ont proposé à sa famille de lui construire un tombeau digne de lui, mais sa femme et ses enfants ont choisi de faire exaucer son vœu (rester modeste, simple, dans la vie comme dans la mort), et ont fait bâtir pour lui une tombe modeste, simple, dans le cimetière de la famille de ses beaux parents, là où sa dernière demeure (tout à fait comme celles de ses beaux parents et des défunts de sa belle famille) reste modeste, simple. Puis avec l’accord de ces anciennes élèves, la somme prévue pour le projet de tombeau était consacrée à une bourse annuelle pour de jeunes élèves en difficulté et ayant obtenu un bon résultat dans leurs études. Comme quoi Maître Âu pourrait toujours, comme de son vivant, veiller sur des générations futures.
Par ailleurs, cet esprit de venir en aide aux jeunes dans leur scolarité se multiplie : à côté de cette Bourse Phạm Kiêm Âu, d’une part, l‘un de ses fils (Phạm Anh Tuấn), en coopération avec d’autres bénévoles, a conçu et entretenu un fonds HHF (Hope for Hue Foundation, ou Fondation Espoir pour Huế), dont bénéficient depuis plusieurs années des malades hospitalisés à l’Hôpital Central de Huế et de jeunes élèves en difficulté pour leurs études ; et d’autre part, la veuve de son fils Phạm Anh Minh (décédé en 2004, 10 ans après lui, à l’âge de 44 ans !), Tố Phượng, s’est alliée avec les Départements de Mathématiques – Faculté des Sciences et École Normale Supérieure de l’Université de Huế, et surtout avec le collège Nguyễn Tri Phương, pour attribuer depuis deux ans des récompenses à des étudiants et élèves ayant obtenu des résultats satisfaisants en mathématiques, au nom de “Quỹ Khuyến học Phạm Anh Minh” (Fonds d’Aide aux études Phạm Anh Minh). De son vivant, Phạm Anh Minh était bien un jeune mathématicien confirmé dans le domaine de Topologie, au Vietnam comme à l’étranger.
L’esprit d’aide aux études, d’hier à aujourd’hui…
À gauche : Récépissé de l’École Hai Bà Trưng (Huế) pour la Bourse Phạm Kiêm Âu, en 1995-1996 – À droite : Attestation pour des récompenses à l’intention des élèves doués en mathématiques (Collège Nguyễn Tri Phương, & Fonds d’Aide aux études Phạm Anh Minh), depuis 2009
(À suivre)
Achevé le 20 mai 2011 à Huế (Vietnam)
Phạm Thị Anh Nga
BULLETIN "GENRE ET SOCIÉTÉ", Université Hoa Sen, No 5, Septembre 2011
http://gas.hoasen.edu.vn/bantingas/no5/fr/index.html[1] En 1973 : Une de ses anciennes élèves (Thu Quỳ) me l’a rappelé (alors que j’avoue n’en avoir aucune idée).
[2] “[…].Nguyên binh tự phong vũ / Tức Mặc kim âu thương […] (L’armée des Nguyên telle un ouragan survint / L’écluse Tức Mặc se trouva lésée).
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