PHAM THI Anh Nga (Hué – Vietnam)
La présente communication tente de retracer un panorama de la Francophonie au Vietnam, d’un point de vue tant diachronique que synchronique, et essaie de trouver des pistes de réflexion et d’action pour des acteurs et défenseurs de la langue française, face aux atouts et défis actuels.
1. La francophonie au Vietnam, d’hier à aujourd’hui
1.1. D’un point de vue diachronique de Huu Ngoc…
C’est avec du recul que Huu Ngoc distingue, dans son article “La Francophonie au Vietnam, hier et aujourd’hui” (2009), quatre étapes de la Francophonie dans le territoire vietnamien :
- le prélude : du 17e siècle à la deuxième moitié du 19e siècle (évangélisation, création de l’écriture romanisée vietnamiennne) ;
- l’implantation : période coloniale, de 1858 à 1945, “période de modernisation, c'est-à-dire d'occidentalisation”, de choc culturel et d’acculturation ;
- l’effacement : étape de la guerre franco-vietnamienne (1945 - 1954), dû à une “vague de haine anti-française” finalement remédiée par l’esprit de clémence de son leader Hô Chi Minh ;
- et enfin, la relance, “au lendemain des Accords de Genève” (1954), renforcée par les relations diplomatiques et des échanges entre les deux pays, et par l’adhésion du Vietnam à l’ASEAN et à l’espace francophone, assurant à la fois régionalisation et mondialisation.
1.2. … à un vécu de P.Gieling plus proche de notre quotidien
Une telle historique de la Francophonie d’hier à aujourd’hui au Vietnam, de nature plutôt “happy end”, semble ne pas tenir compte de nombreuses péripéties que connaissent et dont souffrent la plupart des Vietnamiens francophones de nos jours. Le recours à un point de vue plus proche du réel de Pierre Gieling (2000) pourrait venir combler ce manque.
En effet, l’image que se faisait P.Gieling en 2000 de la Francophonie au Vietnam reste encore adaptée aujourd’hui : une francophonie peu visible mais active, où aux “voix mûres” (générations d’avant 1954 et peu après) viennent se joindre de “jeunes pousses” (jeunes formés dans des classes bilingues, des FUF ou filières universitaires francophones…), et, entre ces 20 et 50 ans, des “francophones actifs” (guides touristiques, employés dans des sociétés francophones, enseignants…), qui se débrouillent, mais sont représentants eux aussi de la Francophonie au Vietnam.
2. Où en sommes-nous actuellement ?
2.1. Domaines d’activités et organisations francophones
La francophonie au Vietnam se reconnaît dans différents domaines d’activités dont voici quelques-uns:
- dans l’éducation : enseignement du français dans le système scolaire (classes bilingues, LVE1, LVE2, à options), à l’université (départements de français, filières francophones), dans des établissements d’enseignement français, tout comme la formation continue du corps enseignant ;
- dans différentes formations : centres et instituts de français (Alliance Française, Idecaf, Centres Culturels Français…), Centre de formation d'interprètes et de traducteurs (CFIT), Centre franco-vietnamien de formation à la gestion (CFVG), Pôles universitaires francophones (PUF), formation informatique (IFI - Institut francophone d'informatique), formations de cadres (dans le domaine de la gestion des entreprises), de journalistes, de juristes francophones, formations en sciences sociales et humaines… ;
- comme langue d’échanges dans différents domaines de coopération avec la France, le Canada, la Belgique et autres pays francophones, et permettant l’accès à des bourses d’études et de formation en France et dans des pays francophones ;
- dans des séminaires régionaux, ou rencontres entre chercheurs, scientifiques de l’Asie du Sud-Est, en vue de réalisation ou traduction d’outils qui seront mis au service de communauté professionnelle de chaque pays concerné (référentiel de formation de professeurs de français, lexique multilingue de formation professionnelle et technique, ouvrages classiques et contemporains…) ;
- dans des activités artistiques, culturelles, des manifestations (musique, danse, poésie, théâtre et cinéma) destinées à un large public de francophones et non-francophones, notamment celles liées à la Francophonie : Fête de la musique (21 juin), Journée internationale de la Francophonie (20 mars), le Printemps des poètes…, dans la presse écrite et dans l’audio-visuel (radio et télévision) ;
Cette présence multiforme de la langue française au Vietnam se doit considérablement à l’appui des instances francophones : l’OIF, l’AUF (jadis Aupelf-Uref), l’Ambassade de France, celles du Canada et de la Belgique, l’APEFE, l’AIMF, le TV5Monde, et des projets ou organisations qui en résultent (le projet Valofrase, le Crefap).
2.2 Situation plutôt optimiste ou pessimiste ?
Des signes encourageants peuvent être signalés dans ces derniers temps dans un environnement qui m’est proche.
En premier lieu, comme l’a annoncé l’AIMF, “La Maison des Savoirs de la Francophonie, la première du genre, a été inaugurée le 17 septembre 2009, au cœur de la ville de Hué au Vietnam”, dans le cadre d’un programme-pilote de l’OIF, l’AIMF, l’AUF et de TV5Monde.
Un autre fait encourageant: la réalisation d’un CDRom regroupant les 121 volumes du BAVH (Bulletin des Amis du Vieux Hué) édités de 1914 à 1944 à l’époque de l’Indochine française (558 articles, 16 000 pages de texte, 4000 planches graphiques en noir et en couleurs). Ce n’est pas une simple reproduction graphique des originaux : le texte était complètement recomposé et tous les mots indexés, y compris des mots vietnamiens, d'un lexique de 480 000 termes, avec des liens hyper-texte et les index par auteurs et par thèmes.
Par ailleurs, en septembre 2010, s’est tenu à Hué un colloque international sur Léopold-Michel Cadière (1869-1955), qui constitue un lieu de rencontre, d’échanges et de retrouvailles entre francophones et non-francophones, d’ici et d’ailleurs, 55 ans après le décès de L-M.Cadière. Ordonné prêtre en 1892, L-M.Cadière était envoyé peu après en Cochinchine par les MEP (Missions Étrangères de Paris). L-M.Cadière a passé toute sa vie auprès des Vietnamiens, s’intégrant à leur vie et à leur langue, et a laissé près de 250 études (en français) sur la langue, les coutumes et les pratiques religieuses des Vietnamiens. Il a fondé l’Association des Amis du Vieux Hué et son rôle était parmi les plus décisifs dans la conception et la réalisation du BAVH.
Malgré ces signes positifs, la situation de la langue française au Vietnam se montre de nos jours plutôt alarmante. L’effectif des élèves dans les établissements primaires et secondaires, et celui des étudiants dans presque tous les départements de français des universités tendent à diminuer considérablement. Le niveau et la motivation se trouvent sensiblement en baisse, dans un contexte où les politiques linguistiques du MEF se montrent très souvent défavorables aux langues étrangères autres que l’anglais. De plus, un certain nombre de SEF prônent ouvertement ou non l’abandon progressif du français au profit d’une autre langue, et en dépit de la sauvegarde de la francophonie au Vietnam. Seul, tel une hirondelle isolée, le SEF de Bên Tre, malgré ses efforts continus, lutte désespérément pour “faire le printemps” à la langue française.
Du côté français, l’attitude ne semble pas toujours favorable à la promotion de la langue française au Vietnam. Observons quelques cas précis. Bien qu’il s’agisse d’un groupe français, dans le recrutement des employés pour les magasins d’hyper-marché Big C (filiale de Casino) implantés au fur et à mesure au Vietnam depuis 1998, la seule langue étrangère exigée est l’anglais, la maîtrise du français ne représentant alors aucun “plus” pour les candidats qui s’y présentent. Par ailleurs, un des débouchés les plus attendus des élèves des classes bilingues, après le bac, c’est la possibilité de poursuivre des études supérieures en France, éventuellement à leurs frais. Pourtant un certain nombre d’entre eux ont rencontré des empêchements majeurs dans leur demande de visa d’entrée en France, alors que les conditions requises pour l’obtention des visas ont été bien accomplies.
3. Du rêve au réalisme …
Il n’est plus question de nos jours de rêver d’un règne de la langue française en territoire vietnamien, ni même la première place en tant que langue étrangère, que ce soit dans le système éducatif ou ailleurs. Ce qu’a constaté la Commission des Affaires culturelles de la France dans son rapport d’information présenté au Sénat en 1997 reste encore bien vrai : “Demain comme hier, le Vietnam restera essentiellement "vietnamophone", et l'enseignement des langues étrangères y sera fonction de leur utilité en tant que vecteur des savoirs et instrument de développement. Dans ce pays légitimement fier de son histoire et jaloux de son indépendance, ouvert au dialogue des cultures mais soucieux de garder la maîtrise de son destin et de trouver sa propre voie vers le progrès, l'apprentissage des langues n'est pas une fin en soi -et encore moins l'expression de l'adhésion à un modèle- mais le moyen d'intégrer, sans renoncer à sa singularité, les expériences et les acquis d'autres civilisations.”
Il s’agit, dès lors, d’adopter une attitude sage, modérée et réaliste qui consiste à :
- concevoir une place bien raisonnable de la langue française au Vietnam: plutôt qu’une lutte contre l’anglais, le développement d’un “plurilinguisme” des langues étrangères, où le bilinguisme anglais-français aura sa place prioritaire ;
- faire preuve d’un véritable engagement personnel : en fonction de sa tâche, de sa position, éventuellement de sa place de décideur institutionnel ou professionnel, se demander en toute franchise ce que chacun a pu, à côté des “mots”, des “apparences”, faire de manière concrète et efficace pour le maintien de la francophonie (faire vivre, alimenter, motiver, sauvegarder…) ;
- tenter de maîtriser du savoir-faire au faire-savoir : faire de la langue française une chance supplémentaire de réussite dans les études et dans l’insertion professionnelle, en associant études et compétences requises du travail, formation et marché de l’emploi ; mieux s’intégrer à la communauté scientifique et professionnelle du pays, au lieu de se contenter de l’espace partagé entre francophones du Vietnam et de la région (qui constitue en quelque sorte un “ghetto” aux yeux des autres).
Sans oublier des aspects assez délicats dans l’usage de la langue française entre “Nous” et “les autres” qui exige une certaine modération dans les échanges : déjà en 1994, dans le cadre de l’élaboration en commun des manuels de français pour le lycée vietnamien, au CIEP (Sèvres, France), deux Vietnamiens de l’équipe (dont je faisais partie) ont insisté pour que l’expression “Mer de Chine” ne figure pas dans le manuel de 11e, sur une carte du Vietnam et dans un tableau pour désigner notre “Biển Đông”. En revanche, toutes les autres appellations proposées (“Mer Orientale”, “Mer de l’Est”…) ont été refusées par les collègues français. Il a fallu que la Commission d’évaluation du Vietnam donne finalement le dernier mot : la mer y était finalement mentionnée sous le nom de “Mer de Biển Đông”.
Documents de référence:
GOUTEYRON ADRIEN et al., Rapport d’information, au nom de la commission des Affaires culturelles, Annexe au procès-verbal de la séance du 1er octobre 1997, http://www.senat.fr/rap/r97-001/r97-001.html (accès internet 2.7.2011)
PHAM THI ANH NGA, 2004, “Vivre son identité au Vietnam”, Hermès No40, Francophonie et mondialisation, CNRS France, HERMES_2004_40_62.pdf (accès internet 2.7.2011)
Références pour des documents iconographiques de l’époque ancienne:
ANNEXE:
Quelques images témoignant de la présence de la langue française au Vietnam
D’hier…
… à aujourd’hui:
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